Je me disais : « Pruch'ella duri ! Pourvu que ça dure ! »
Avril 1988, un matin d’école comme les autres ou presque, avec ces petites nuances qui font que hier, aujourd’hui et demain ne se ressemblent pas tout à fait.
J'ai du mal à me réveiller. Je voudrais prolonger le rythme de ces si belles vacances qui s'achèvent. Ma tête répercute inlassablement l’écho du chant printanier de la mer Méditerranée, j’aperçois les couleurs du maquis comme s’il s’étendait sous mes yeux, je sens le parfum de la pulenda da castigna, la polenta de châtaigne, et du figatellu, de la saucisse de foie, qu’on fait revenir à la poêle chez la voisine. Une semaine plus tôt, je roulais encore en direction des cimes enneigées de mes chères montagnes corses. Ié, Corsica ! Oui, la Corse ! Je porte un nom breton, je suis attaché comme à la prunelle de mes yeux à cette bande de terre au bout du bout du monde, mon corps tout entier vibre au son du biniou et de la bombarde. Pourtant, c’est le sang de l’île de Beauté qui irrigue et fait battre mon cœur, c’est ce sang chaud, fluide et bouillonnant comme la lave d’un volcan, qui bondit dans mes veines et se mêle au sang celte, plus flegmatique, plus épais, qui le calme et l’apaise. Ié, Corsica ! Oui, la Corse ! Au village, si je suis u pinzutu, un étranger, un français à l'accent pointu qui écorche les oreilles des quelques vieilles et vieux qui sortent, l’hiver passé, sur le seuil de leur porte ou sur le banc de pierre près de la fontaine, on n’oublie pas que ma mère est fille du pays, bien que née d'un père flamand ; alors, on me sourit, on me salue, on félicite ma grand-mère d’avoir de si beaux petits-enfants, ma mère d’avoir de si beaux enfants, ma tante d’avoir de si beaux neveux. Depuis Bastia, nous avons rejoint Ghisoni par la route nouvelle, aménagée pour desservir l’accès au chantier du futur barrage de Sampolo. Nous longeons la rive gauche du Fium’Orbu, le fleuve aveugle, qui charrie une eau de fonte boueuse et grise. Nous mangeons un morceau dans la maison familiale, puis nous tentons de gagner la station du Monte Renosu. En vain. Il a neigé la veille et toute la nuit durant. La radio annonce un mètre de poudreuse au sommet. A quatre kilomètres des pistes, les véhicules patinent et s’embourbent. Nous coupons les moteurs. Je ne me souviens plus qui a donné le signal, mais nous voici tout à coup à marcher et courir dans la neige fraîche avec nos chaussures de ville, qui se détrempent aux premiers pas. Nous croisons un autrichien bien emmitouflé, armé de son sac à dos et de ses skis de randonnée, avec qui je baragouine péniblement quelques mots en allemand. Il me confirme dans un excellent français que nous ne pouvons pas aller plus loin, que les engins de déblaiement sont immobilisés à cinq cent mètres en amont, que nous allons geler sur place si nous progressons dans ces accoutrements. Il a raison. N*** claque des dents, D*** a les lèvres violettes, mes doigts s’engourdissent lorsque je déclenche mon appareil photo pour fixer ce moment si singulier. Elle est amusante cette photographie, il est beau notre sourire fendu jusqu’aux oreilles et un peu bleu de froid aux commissures des lèvres. L’autrichien est là, à nos côtés, immense et droit, avec sa barbe et ses cheveux blancs de sage. Son sourire surpris et amusé, si sincère, m’est éminemment sympathique. Je crois bien que ma grand-mère lui fait du gringue. Elle peut, elle est pétillante et le voyageur, bel homme, est à peine plus jeune qu’elle. Ils pourraient s’entendre. Souvent, je regarde cette photo, ému, et je me souviens du bonheur de cet instant et de ce que je me disais à l’époque.
Je me disais : « Pruch'ella duri ! Pourvu que ça dure ! »
Ce matin, il y a la photo de classe. La bonne idée du frangin au petit déjeuner est de me cogner en pleine poire avec le croûton rassis d’une baguette. Salop, cela fait un mal de chien ! Je pisse le sang du nez et je suis égratigné. Je lui en veux d’avoir abîmer ma tronche, je serais affreux sur la photo. Je lui en veux d’avoir abîmer ma tronche, j’ai une boum samedi chez S***. C’est que je l’aime bien, S***, même beaucoup. Je pense qu’elle accepterait de sortir avec moi, si je le lui demande. Lorsque le slow final retentit, plein de courage, je l’invite. Nous tournons lentement au rythme de la musique que nous écoutons à peine, trop absorbés par l’un et par l’autre, trop heureux de vivre ce moment si intense. S*** m’enserre dans ses bras de plus en plus fort, elle penche la tête en arrière, légèrement, et ses yeux mi-clos me disent : « Embrasse-moi ! ». Alors, sous l’œil goguenard de mes potes, je me penche et l’embrasse. Oh, la belle sensation du premier baiser !
Je me disais : « Pruch'ella duri ! Pourvu que ça dure ! »
Lorsque le photographe me demande de sourire, je m’exécute comme un môme et je lui montre toutes mes dents. J’ai toutes mes dents et je n’ai pas encore 14 ans. Je vis sans le savoir mes dernières heures d’insouciance, mes derniers jours d’enfant. Oui, j’ai pris mon temps, j’ai taché de retarder un maximum l’inéluctable processus de vieillissement, quitte à être targué d’immaturité. Malgré moi, je ne peux plus lutter, les armes ne sont plus égales. J’entre doucement dans le monde des adultes, je deviens ce drôle de truc tout dégingandé qu’on appelle un adolescent. Que le ciel m’entende, je n’en ai aucune envie ! Je freine des quatre fers depuis de longs mois, je tourne le dos à ce que j’ai peur de devenir, je me rebelle contre l’ordre établi qui dit que petit deviendra grand, j’essaie, tel Superman, d’inverser le sens de rotation de la terre et par conséquent d’annuler les effets du temps. Je voulais rester enfant, comme Peter Pan, je voulais que mon enfance dure toujours.
Je me disais : « Pruch'ella duri ! Pourvu que ça dure ! »
Quand j’étais encore un enfant, je rêvais en 57 caractères, pas un de plus. Je me disais : « Pruch'ella duri ! Pourvu que ça dure ! »

Puisque je parcours mes années de jeunesse, je saisie le prétexte pour revenir sur un gâteau de mon enfance et déjà présenté dans les premiers mois d’existence de NNB!. L’ardéchois est une merveille de douceur, fondante à souhait, mais présenté à la Ninnie, c’est absolument irrésistible !

L'Ardéchois
Ingrédients (pour 3 cakes)
3 conserves vides et propres de 500 g | 3 oeufs |
100 g de sucre roux | 100 g de beurre demi-sel en pommade |
200 ml de crème de marrons | 150 g de farine |
1 CS de levure chimique | 1 CS de rhum (fac.) |
Brisures de marrons glacés (fac.) |
Marche à suivre
Préparez vos supports de cuisson : récupérez des boîtes de conserves pour une contenance moyenne de 500 g. Nettoyez-les soigneusement. Graissez l’intérieur des conserves et déposez dans chacune d’elles un morceau de papier sulfurisé.
Préchauffez votre four à 180°C.
Séparez les blancs des jaunes d’oeufs. Dans un grand bol, mélangez les jaunes avec le sucre, puis le beurre en pommade, jusqu’à ce que le mélange blanchisse. Ajoutez le rhum et la crème de marrons, jusqu’à ce que la préparation soit bien homogène. Ajoutez la farine et la levure ; lissez le mélange. Montez les blancs en neige ferme avec une pincée de sel, puis ajoutez-les délicatement au mélange en les enrobant avec une spatule en bois. Ajoutez également les brisures de marrons glacés. Versez le tout dans les moules et enfournez pendant 40 min. environ, en couvrant d’une feuille de papier aluminium. Laissez refroidir sur une grille avant consommation.

Bon appétit,
P.S. : Un grand merci à Alhya. Tu ne m’en voudras pas, j’espère, de ne pas passer le relais ; il me semble que je suis bien en retard sur le sujet et que beaucoup d’entres nous ont déjà investi quelques minutes, quelques heures peut-être, pour parler de leur rêve d’enfance. Toutefois, si cela en tente quelques uns, je vous l’offre !