vendredi 11 mai 2007

Je me disais : « Pruch'ella duri ! Pourvu que ça dure ! »

Avril 1988, un matin d’école comme les autres ou presque, avec ces petites nuances qui font que hier, aujourd’hui et demain ne se ressemblent pas tout à fait.

J'ai du mal à me réveiller. Je voudrais prolonger le rythme de ces si belles vacances qui s'achèvent. Ma tête répercute inlassablement l’écho du chant printanier de la mer Méditerranée, j’aperçois les couleurs du maquis comme s’il s’étendait sous mes yeux, je sens le parfum de la pulenda da castigna, la polenta de châtaigne, et du figatellu, de la saucisse de foie, qu’on fait revenir à la poêle chez la voisine. Une semaine plus tôt, je roulais encore en direction des cimes enneigées de mes chères montagnes corses. Ié, Corsica ! Oui, la Corse ! Je porte un nom breton, je suis attaché comme à la prunelle de mes yeux à cette bande de terre au bout du bout du monde, mon corps tout entier vibre au son du biniou et de la bombarde. Pourtant, c’est le sang de l’île de Beauté qui irrigue et fait battre mon cœur, c’est ce sang chaud, fluide et bouillonnant comme la lave d’un volcan, qui bondit dans mes veines et se mêle au sang celte, plus flegmatique, plus épais, qui le calme et l’apaise. Ié, Corsica ! Oui, la Corse ! Au village, si je suis u pinzutu, un étranger, un français à l'accent pointu qui écorche les oreilles des quelques vieilles et vieux qui sortent, l’hiver passé, sur le seuil de leur porte ou sur le banc de pierre près de la fontaine, on n’oublie pas que ma mère est fille du pays, bien que née d'un père flamand ; alors, on me sourit, on me salue, on félicite ma grand-mère d’avoir de si beaux petits-enfants, ma mère d’avoir de si beaux enfants, ma tante d’avoir de si beaux neveux. Depuis Bastia, nous avons rejoint Ghisoni par la route nouvelle, aménagée pour desservir l’accès au chantier du futur barrage de Sampolo. Nous longeons la rive gauche du Fium’Orbu, le fleuve aveugle, qui charrie une eau de fonte boueuse et grise. Nous mangeons un morceau dans la maison familiale, puis nous tentons de gagner la station du Monte Renosu. En vain. Il a neigé la veille et toute la nuit durant. La radio annonce un mètre de poudreuse au sommet. A quatre kilomètres des pistes, les véhicules patinent et s’embourbent. Nous coupons les moteurs. Je ne me souviens plus qui a donné le signal, mais nous voici tout à coup à marcher et courir dans la neige fraîche avec nos chaussures de ville, qui se détrempent aux premiers pas. Nous croisons un autrichien bien emmitouflé, armé de son sac à dos et de ses skis de randonnée, avec qui je baragouine péniblement quelques mots en allemand. Il me confirme dans un excellent français que nous ne pouvons pas aller plus loin, que les engins de déblaiement sont immobilisés à cinq cent mètres en amont, que nous allons geler sur place si nous progressons dans ces accoutrements. Il a raison. N*** claque des dents, D*** a les lèvres violettes, mes doigts s’engourdissent lorsque je déclenche mon appareil photo pour fixer ce moment si singulier. Elle est amusante cette photographie, il est beau notre sourire fendu jusqu’aux oreilles et un peu bleu de froid aux commissures des lèvres. L’autrichien est là, à nos côtés, immense et droit, avec sa barbe et ses cheveux blancs de sage. Son sourire surpris et amusé, si sincère, m’est éminemment sympathique. Je crois bien que ma grand-mère lui fait du gringue. Elle peut, elle est pétillante et le voyageur, bel homme, est à peine plus jeune qu’elle. Ils pourraient s’entendre. Souvent, je regarde cette photo, ému, et je me souviens du bonheur de cet instant et de ce que je me disais à l’époque.

Je me disais : « Pruch'ella duri ! Pourvu que ça dure ! »

Ce matin, il y a la photo de classe. La bonne idée du frangin au petit déjeuner est de me cogner en pleine poire avec le croûton rassis d’une baguette. Salop, cela fait un mal de chien ! Je pisse le sang du nez et je suis égratigné. Je lui en veux d’avoir abîmer ma tronche, je serais affreux sur la photo. Je lui en veux d’avoir abîmer ma tronche, j’ai une boum samedi chez S***. C’est que je l’aime bien, S***, même beaucoup. Je pense qu’elle accepterait de sortir avec moi, si je le lui demande. Lorsque le slow final retentit, plein de courage, je l’invite. Nous tournons lentement au rythme de la musique que nous écoutons à peine, trop absorbés par l’un et par l’autre, trop heureux de vivre ce moment si intense. S*** m’enserre dans ses bras de plus en plus fort, elle penche la tête en arrière, légèrement, et ses yeux mi-clos me disent : « Embrasse-moi ! ». Alors, sous l’œil goguenard de mes potes, je me penche et l’embrasse. Oh, la belle sensation du premier baiser !

Je me disais : « Pruch'ella duri ! Pourvu que ça dure ! »

Lorsque le photographe me demande de sourire, je m’exécute comme un môme et je lui montre toutes mes dents. J’ai toutes mes dents et je n’ai pas encore 14 ans. Je vis sans le savoir mes dernières heures d’insouciance, mes derniers jours d’enfant. Oui, j’ai pris mon temps, j’ai taché de retarder un maximum l’inéluctable processus de vieillissement, quitte à être targué d’immaturité. Malgré moi, je ne peux plus lutter, les armes ne sont plus égales. J’entre doucement dans le monde des adultes, je deviens ce drôle de truc tout dégingandé qu’on appelle un adolescent. Que le ciel m’entende, je n’en ai aucune envie ! Je freine des quatre fers depuis de longs mois, je tourne le dos à ce que j’ai peur de devenir, je me rebelle contre l’ordre établi qui dit que petit deviendra grand, j’essaie, tel Superman, d’inverser le sens de rotation de la terre et par conséquent d’annuler les effets du temps. Je voulais rester enfant, comme Peter Pan, je voulais que mon enfance dure toujours.

Je me disais : « Pruch'ella duri ! Pourvu que ça dure ! »

Quand j’étais encore un enfant, je rêvais en 57 caractères, pas un de plus. Je me disais : « Pruch'ella duri ! Pourvu que ça dure ! »


Puisque je parcours mes années de jeunesse, je saisie le prétexte pour revenir sur un gâteau de mon enfance et déjà présenté dans les premiers mois d’existence de NNB!. L’ardéchois est une merveille de douceur, fondante à souhait, mais présenté à la Ninnie, c’est absolument irrésistible !


L'Ardéchois

Ingrédients (pour 3 cakes)
3 conserves vides et propres de 500 g3 oeufs
100 g de sucre roux100 g de beurre demi-sel en pommade
200 ml de crème de marrons150 g de farine
1 CS de levure chimique1 CS de rhum (fac.)
Brisures de marrons glacés (fac.)
Marche à suivre

Préparez vos supports de cuisson : récupérez des boîtes de conserves pour une contenance moyenne de 500 g. Nettoyez-les soigneusement. Graissez l’intérieur des conserves et déposez dans chacune d’elles un morceau de papier sulfurisé.

Préchauffez votre four à 180°C.

Séparez les blancs des jaunes d’oeufs. Dans un grand bol, mélangez les jaunes avec le sucre, puis le beurre en pommade, jusqu’à ce que le mélange blanchisse. Ajoutez le rhum et la crème de marrons, jusqu’à ce que la préparation soit bien homogène. Ajoutez la farine et la levure ; lissez le mélange. Montez les blancs en neige ferme avec une pincée de sel, puis ajoutez-les délicatement au mélange en les enrobant avec une spatule en bois. Ajoutez également les brisures de marrons glacés. Versez le tout dans les moules et enfournez pendant 40 min. environ, en couvrant d’une feuille de papier aluminium. Laissez refroidir sur une grille avant consommation.

Bon appétit,
Tit'

P.S. : Un grand merci à Alhya. Tu ne m’en voudras pas, j’espère, de ne pas passer le relais ; il me semble que je suis bien en retard sur le sujet et que beaucoup d’entres nous ont déjà investi quelques minutes, quelques heures peut-être, pour parler de leur rêve d’enfance. Toutefois, si cela en tente quelques uns, je vous l’offre !

25 graines et quelques miettes pour un cuicui affamé:

C'est amusant de constater que ton rêve d'enfance à l'opposé total du mien. Je rêvais d'être une grande personne..., alors que toi, enfant, tu étais déjà bien sage de rêver du contraire...
N'est-ce pas que c'est chouette du gâteau en rondelles? :-)

Anonyme , le 11/05/2007 02:03  

oups: ... ton rêve d'enfance EST à l'opposé total du mien.

Anonyme , le 11/05/2007 02:03  

en voilà un joli texte, tu as plus d'une corde à ton arc.

Anonyme , le 11/05/2007 04:21  

Et bien quel post...57...milles caractère mais c'est pour la bonne cause. J'aime beaucoup ton style quand je te lis, c'est vraiment très agréable...et une recette comme celle ci...ouah, il y en a qui ont de la chance d'avoir un Tit' comme père ;-)

A+
Claude

Claude-Olivier Marti , le 11/05/2007 11:02  

J'adore cette présentation... quelle originalité ! J'essayerais bientôt !!!

Très beau message aussi.

Biz Flo

Flo , le 11/05/2007 11:53  

Très joli texte et très belle recette.

Anonyme , le 11/05/2007 12:27  

un bon petit moment d'escapade... je comprends très bien ton rêve d'enfant, pré-ado je m'étais même écrit une lettre pour ne pas oublier une fois adulte, tout ce qu'on ressent enfant: l'injustice l'insouciance etc... je l'ai perdu depuis mais c'est pas très grave... ;)

Tu me décourages un peu de me remettre à fond dans les blogs, tu veux pas poster des salades de fruits, de légumes et des trucs light pour m'encourager ? Au lieu de participer à cette étalage de gourmandise ! Génial les ardéchois dans les boîtes ! Bon, puisque c'est comme ça je vais m'y remettre moi aussi ;)

Anonyme , le 11/05/2007 13:45  

Joli texte...

Anonyme , le 11/05/2007 13:58  

Le gateau a l'air aussi savoureux que tes souvenirs Tit'
Deja, enfant, tu voulais retenir l'instant present?

Gracianne , le 11/05/2007 14:33  

Tu avais donc déjà tout compris à cet âge-là.
Et moi qui passe mon temps à essayer de retrouver mon enfance...

Mingoumango (La Mangue) , le 11/05/2007 14:37  

Voici des années que je me promets de faire un ardéchois pour ma fille qui adore les marrons, et je ne sais pas pourquoi, j'y pense... et puis j'oublie. La présentation est d'autant plus jolie que ces petites boîtes sont ravissantes.

Anonyme , le 11/05/2007 21:56  

Moi, je le dis comme je le pense : ah et pi, ya pas que la crème de marron dans la vie! Qu'elle est chouette cette photo du ptit chou (toujours mon préféré)!

Pourvu que ça dure le tit blog !

Anonyme , le 12/05/2007 02:34  

lwucyey : c'est ce que la machine me demande de taper dans le cadre "vérification des mots". Quel mot ? ça veut dire quoi lxucyey ? est-ce que ça veut dire que t'avais une bouille de premier de la classe, de tombeur de collégiennes ? ou est-ce que ça veut dire que j'aime bien te lire et que tu passes chez moi ? A moins que lxucyey, ça veuille dire "tu me ferais pas une salade" ? ou "pas mal la plume" ? et si lxucyey ça signifiait : raymonde, t'arrêtes un peu de draguer le petit, oui ?

Anonyme , le 12/05/2007 10:35  

J'ai souffert avec toi dans la neige en te lisant, grand moment d'émotion. Dire que je trouvais que les années ne passaient pas assez vite et que maintenant je voudrais bien arréter le temps qui galope c'est tout le paraxode d'une vie
Bises

Anonyme , le 12/05/2007 18:06  

Yep,
moi aussi ca fait longtemps, toujours de bien belles recettes à ce que je vois...

Alexis , le 12/05/2007 18:31  

Annie, le petit, il est à moi. Fais gaffe.

Anonyme , le 12/05/2007 21:14  

trop mignon ,le Tit :°)
I sait parler aux femmes !!

LILIBOX , le 12/05/2007 21:36  

trop bien raconté ce post trop bien présenté cet ardèchois....tout est trop aujourd'hui ! bravo

Mercotte , le 13/05/2007 16:30  

tu viens de m'offrir un vrai moment de bonheur... il pleut des cordes ce matin, et j'ai l'impression que durant la nuit on est passé subrepticement à l'automne. il fait presque nuit, et c'est à la lueur de ma lampe de bureau, les yeux encore un peu embrumés, que je me suis laissée guidée... je réagirai volontiers sur tous ces moments dont tu parles, te dirais que je voudrais marcher dans tes montagnes corses, même en chaussure de ville et à risquer d'en prendre les commissures violettes, mais je dirais juste que bon sang! il faut qu'elles soient propres en plus d'être vides les boîtes! tu charries, c'est encore un truc à ce que je me coupe les doigts ça!

Alhya , le 14/05/2007 08:50  

Ce sont tes souvenirs d'enfance qui donnent à ta cuisine sa douceur, en témoigne cet ardéchois. Splendides !

Anonyme , le 15/05/2007 15:57  

Ton article sur la Corse m'a rappelé des souvenirs et m'a ému...et oui j'ai aussi vécu la bas. Pruch'ella duri me fait penser à la chanson : oh ch'ella duri oh ch'ella duri pane biancu e fighi maturi...Zio pecurone si chiamera Jo.
Bises et bonne soirée

Anonyme , le 15/05/2007 20:32  

Je viens de prendre mes billets pour la Corse cet été ! Deux semaines de vagabondage... Moi, c'est l'intérieur, qui me tente ! J'y ai quelques - modestes- souvenirs aussi ! Mais pas de famille là-bas ...:o(
Quant à ce petit gâteau, il plaira beaucoup à mon ado qui freine aussi des quatre fers pour rester un peu plus longtemps dans l'enfance ! Enfin, ça prouve qu'il s'y trouve bien ! ;o))
bisous
Hélène

Hélène (Cannes) , le 16/05/2007 08:14  

Quel texte... Superbe, vraiment! Plein d'une tendresse palpable. Il y a du Marcel Pagnol en toi... (Marcel, sors de ce corps!!)
J'ai adoré te lire, et la recette ne gâche rien...

Anonyme , le 17/05/2007 20:45  

J'adore cette présentation à la Ninnie, et un cake a la creme de marron a vraiment tout pour me plaire !

Anonyme , le 18/05/2007 19:00  

miam, je l'adore ce cake!

Anonyme , le 14/07/2007 21:10