mercredi 10 février 2010

Les confitures, 1982

D'aussi loin que je me souvienne, le plus grand émoi de mes papilles d'enfant remonte à la fin de l'été 82 – j'avais alors huit ans. Je passais mes journées à œuvrer en pleine canicule, sans eau ni chapeau, dans cette Bretagne de l'intérieur que certaines mauvaises langues disent pourtant si humide, les bras plongés jusqu’aux épaules dans des buissons de ronces parfois hauts comme trois fois mes trois pommes et demi de l'époque, à cueillir des mûres sauvages. Cet été-là, les paniers explosaient sous le poids de fruits larges comme une pièce de deux francs. Il y en avait tellement suspendus aux lianes acérées qui flanchaient, sur les talus, dans les chemins que nous parcourions à bicyclette et qui menaient chez nous au lieu-dit « Le Vern » (Poullaouën, Finistère ; voir photographies de la maison et du hameau en 1965 et 2008), que nous ne savions par où commencer mon frangin et moi. Entre deux bastons – notre manière à nous de nous dire comme nous nous aimions… ’Fin, surtout mon grand-frère, parce que moi je rêvais plutôt de le voir (tré)passer sous une moissonneuse-batteuse dont le conducteur se serait assoupi la gueule enfoncée sur le volant et le pied sur la pédale d’accélérateur, ou se faire trépigner par un troupeau de vaches laitières rendues furieuses par la piqure d’un taon, ou mieux encore être asphyxié par les gaz pestilentiels de la fosse à purin dans laquelle une pauvre âme enfantine, innocente par essence, l’aurait aidé à s’y glisser en lui vantant les mérites pour la santé des bains de bou(s)e, la bonne idée, histoire qu’il me fiche enfin la paix, le sale môme ! –, entre deux bastons, disais-je, nous amassions les mûres par centaines, nous menions une récolte acharnée, aucun de ces arbrisseaux ne nous échappaient. Comme cela ne suffisait pas, nous en avalions par dizaines au passage, la langue, les dents, les lèvres, le menton, le cou, les doigts, les bras, les tee-shirts, les bermudas et les chaussures de tennis violets ou noirs du jus sucré de fruits mûrs à souhait. Nous avions passé tant de temps à la cueillette, perchés sur la pointe des pieds ou suspendus aux branches de noisetiers qui ployaient sous nos poids de grandes gigues, que nous ne nous étions pas rendus compte que nous avions perdu tous les deux nos premières montres à quartz offertes deux mois plus tôt par notre Pépé. Nous en retrouverons une des années plus tard dans le roncier où j’étais certain de la sentir se décrocher de mon poignet, agrippée par les piquants, rouillée et forcément hors d’usage. A la maison, nous turbinions dur aussi : ma petite sœur triait, mon père lavait et séchait, ma mère mettait à macérer dans le sucre cristal, cuisait et mettait en pot des kilogrammes de confiture ou de gelée de mûre sauvage et moi je trépignais en attendant que les pots refroidissent, que la confiture prenne et que nous puissions enfin la déguster sur des tartines de pain frais beurrées – au beurre demi-sel, cela s’entend. J’aimerais vous dire quel plaisir c’était, quel sentiment de fierté du travail accompli nous ressentions alors. Cependant, si je me lançais, je craindrais de ne pas avoir le temps de vous raconter qu’après les mûres, la frénésie qui avait gagnée la famille était restée intacte jusqu’au retour des vacances ; une fois notre petit pavillon de la région parisienne réintégré, le coffre de la voiture à peine déchargé de ses bagages et de ses pots de confitures de mûres se remplissait à nouveau d’une quantité astronomique de quetsches, de mirabelles, de pommes, de poires et de coings. Nos parents se remettaient à la tache sans rechigner et nous nous impatientions de pouvoir découvrir ces merveilles dans les pots perchés tout en haut du meuble de cuisine pour que nous ne puissions y accéder en cachette sans courir le risque de nous briser le cou.

Depuis cette époque, je voue un amour inconditionnel et immodéré à la confiture. Si la mûre sauvage remporte incontestablement tous les suffrages – quoique bien après la crème de marron, la véritable crème de marron, j’entends, de celle que je ne ferais jamais car trop fainéant, de celle qui réclame des heures et des heures de patience à ramasser les fruits dans la futaie, à les trier, à les laver, à les fendre, à les ébouillanter une première fois, à les éplucher une première fois, à les ébouillanter une seconde fois, à les éplucher une seconde fois à ne plus en avoir de doigt, à les mettre à réduire dans le sirop et à transformer ces trésors enfin en la plus fabuleuse des confitures, si onctueuse qu’on dirait de la crème, de celle que seuls les grands-parents de ma belle oiselle nous honorent chaque année depuis seize ans (saurais-je jamais leur exprimer assez tout le bonheur que j’éprouve à chaque fois que je m’en délecte ?) –, si la mûre sauvage remporte incontestablement tous les suffrages, disais-je, j’ai du mal à ne pas aimer une confiture, plus particulièrement si elle est faite maison – les habitués de ce blog s’en seront rendus compte. Depuis quelques semaines, alors que je n’en avais jamais exprimé le besoin auparavant estimant que j’avais suffisamment de savoir-faire pour avoir souvent observé ma mère, mon père et ma Mémé Phine faire et refaire les mêmes gestes patients et ordonnés, et suffisamment d’imagination et de connaissance des produits pour sortir des sentiers battus et rebattus par des siècles de pratique, je me suis procuré un petit ouvrage que je ne saurais trop recommander à ceux que la réalisation de la confiture effraie...

Christine Ferber, Mes Confitures
éd. J’ai lu (prix : 4,75€)

Au-delà d’idées originales et (diablement) tentantes, la méthode irréprochable décrite par la « fée des confitures » mérite que vous vous y intéressiez. Je ne parle pas pour moi en effet, car j’ai l’impression en la lisant que je n’ai jamais préparé de confiture autrement. Seulement, si vous êtes novice, que vous avez peur de vous lancer et que vous préférez manger les confitures que vous prépare avec amour Grand-Mamie – bientôt 90 ans et toujours bon pied bon œil, sauf que parfois elle confond le sel et le sucre –, vous devriez impérativement vous procurer ce livre édité aujourd’hui au format poche. Vous apprécierez, tout comme moi, le regard bienveillant que Christine Ferber porte aux fruits récoltés et sélectionnés avec amour. Comme elle le ferait de ses enfants, Christine l’alsacienne les choie, les dorlote, elle les nettoie, les essuie délicatement ; avec l’autorité nécessaire dans le geste, elle les pèle minutieusement, les découpe de façon bien régulière, elle en retire le cœur, elle les met à mariner, à macérer, les force à donner le meilleur d’eux-mêmes, jusqu’à la cuisson où ils baignent dans ce bain de sucre fondu quelques brèves minutes pour confire. Christine Ferber sait comment sublimer ses sujets. Pourquoi pas vous ?

Après cela, si la réalisation des confitures vous effraye toujours, c’est que vous êtes rien moins que des gros peureux ou d’affreux fainéants. Pour l’heure, voici quelques recettes de confitures et gelées réalisées au fil des saisons, belles et bien inspirées par la cheffe pâtissière de Nordemirerschwihr… de Nihrmidorviwish… Zut, c’est pas ça nan plus ! La pâtissière de Niedermorschwihr. Ah ! Voilà qui est mieux. (Pffiou, pas fastoche, hein !)

Attention ! Je me répèterais un peu pour certains, mais je diminue toujours d’au moins 50 ou 150 g la quantité de sucre pour réaliser des confitures. Pour 500 g de fruits net (sans noyau et sans peau), j’ajoute systématiquement 400 g de sucre et 1 jus de citron. Je diminue encore de 50 à 100 g la quantité de sucre, quand je veux faire des confitures allégées. Notez que celles-ci se conserveront bien moins longtemps et reposeront au réfrigérateur après complet refroidissement et avant d’être dégustée.

Ci-après, une première recette...

Confiture d’abricots confits

Ce rayon de soleil culinaire est librement inspiré par Christine Ferber (Mes Confitures, « Abricots bergerons », p.65). Les ziozios et leur gros patèr’ de dodu dodo en sont férus : dans un yaourt ou sur une tranche de brioche, c’est un régal ! Pour vous y coller, il faudra cependant patienter quelques mois que la saison revienne...

Ingrédients

600 g d’abricots mûrs mais suffisamment ferme ; 400 d de sucre roux ; 100 ml d’eau ; 1 jus de citron

Marche à suivre

Jour 1 – Lavez et essuyez les fruits. Coupez-les en quatre et dénoyautez-les. Dans un grand bol en verre, mélangez les quartiers d’abricots arrosez du jus du citron avec le sucre. Laissez macérer au frais pendant une nuit.

Jour 2 – Dans une casserole à bords hauts, versez la préparation et portez-la légèrement à ébullition. Coupez le feu. Réservez. Dès refroidissement, retirez la peau des quartiers d’abricot. Portez une seconde fois à légère ébullition pendant 2 minutes. Renouvelez le bouillon 2, 4 et 6 heures plus tard, pour confire un maximum les abricots. Réservez une nouvelle nuit au frais.

Jour 3 – Egouttez la préparation, réservez les fruits et portez le jus recueilli à ébullition. Avec un thermomètre à sucre, contrôlez la concentration du sirop à 105°C. Ecumez. Une fois la température atteinte, ajoutez délicatement les quartiers d’abricot confits. Maintenez une cuisson à petit bouillon pendant 2 minutes. Versez dans des pots bien propres que vous retournerez une fois fermés pour stériliser « à l’anglaise ».

C'est tout pour le moment... Pour d'autres recettes de confiture (confiture melon, vanille et citron vert, confiture mirabelles, vanille et gewürztraminer, confiture quetsche et vanille, confiture figues, miel et lavande, gelée de raisin muscat, confiture kiwi et tomates vertes), repassez plus tard ! :-)

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